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Management de l’innovation et globalisation

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livre dunod MIGCet ouvrage coécrit par Sihem Ben Mahmoud-Jouini, Florence Charue-Duboc et Christophe Midler porte, comme son titre l’indique si bien, sur le management de l’innovation des entreprises internationales.

Chaque chapitre correspond à un cas étudié en profondeur, avec une approche théorique réduite au strict minimum pour que le praticien ne soit pas perdu dans le jargon académique et pour que les étudiants puissent suivre le raisonnement sans difficulté (l’ouvrage s’appuie d’ailleurs sur des recherches conduites dans le cadre du master Projet Innovation Conception). Les cas y sont clairement présentés de façon à être saisi y compris par de jeunes étudiants.

Avant de nous intéresser au contenu de l’ouvrage, posons-nous la question suivante : pourquoi les unités de R&D sont-elles de plus en plus internationalisées ? De nombreuses raisons sont invoquées dans la littérature. Nous pouvons citer trois grandes catégories de motivation :

  1. Les motivations d’ordre économique

Elles visent essentiellement à augmenter le potentiel de création d’innovations via des économies d’échelle ou de variété. Il s’agit d’accumuler une masse critique de chercheurs en un lieu dans le but d’obtenir davantage d’innovations (économies d’échelle) ou des innovations dans des domaines différents (produits, procédés,…etc.) et dans ce cas, il s’agit d’économies de variété. Les arguments en faveur de la dissémination géographique valident le plus souvent l’hypothèse opposée, à savoir des unités de recherche plus petites pour éviter des déséconomies.

  1. Les motivations d’ordre commercial

Elles visent avant tout l’adaptation des produits et des procédures au marché local.

  1. Les motivations d’ordre géostratégique

Elles sont liées à la répartition des connaissances sur le globe. En augmentant son assise géographique, l’entreprise est à même de capter les connaissances locales et de les intégrer au niveau mondial. Plutôt que de concentrer l’effort dans un cluster, les entreprises cherchent à actionner plusieurs clusters.

Évidemment pour organiser sa stratégie de R&D à l’international, les entreprises ont de nombreux choix devant elles. Elles doivent appliquer des modifications en profondeur pour tirer profit de toutes ces connaissances et innovations.

L’ouvrage se découpe en 12 chapitres, chaque chapitre est dédié à une entreprise particulière. Plutôt que de passer en revue les douze chapitres, abordons quelques points essentiels.

Répartition géographique

Les auteurs posent la question de la répartition géographique de l’innovation. Ils s’y intéressent de manière détaillée, et ne conçoivent pas l’innovation comme un tout indifférencié. De quoi parlons-nous précisément ? De R(echerche), d’ I(nnovation), de D(éveloppement), de P(roduction) ?

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Source: Von Zedtwitz et Gassmann (2002)

Dans le chapitre 10, les auteurs s’appuient sur les travaux de Von Zedtwitz et Gassmann (2002) pour bien distinguer la répartition de ces différents éléments. Grâce à cette typologie, ils distinguent l’intérêt respectif des situations suivantes : i) une répartition homogène des laboratoires de R&D sur le globe (tout est fait partout), ou ii) une concentration de la recherche dans un laboratoire unique mais un développement réalisé dans différentes zones géographiques, ou à l’inverse, iii) une distribution de la recherche fondamentale dans différents laboratoires et une concentration du développement en un seul lieu.

Or, nous savons que les grandes entreprises ne se limitent pas à une seule approche, mais utilisent toute une batterie de stratégies d’innovation (GE par exemple fait de l’innovation ouverte, de l’innovation inverse, de l’innovation frugale, comme nous l’apprennent Pénin et al., 2013). Les auteurs illustrent cette situation en prenant appui sur le cas d’Orange, Valéo et Air Liquide. Plus précisément, le cas d’Orange Labs illustre un mode possible de développement international avec des unités réparties en Chine, Egypte, Inde, Japon, Pologne, Roumanie, Tunisie, Angleterre…

Toujours dans le cas d’Orange, les auteurs nous livrent leur définition de ce qu’est une innovation globale, une innovation régionale et une innovation locale (p48). Cette distinction se fait selon trois caractéristiques : i) l’implication des acteurs dans le processus d’innovation (centralisation puis diffusion et articulation forte avec les acteurs et fournisseurs locaux pour obtenir l’innovation), ii) l’engagement local dans la conception (simple adaptation ou partie essentielle ?), iii) la nature des besoins (homogènes sur tous les territoires ou au contraire nécessitant une adaptation locale).

Des stratégies d’innovation à la portée de toutes les grandes entreprises ?

Toutes les grandes entreprises ne sont pas en mesure de jouer l’ensemble des variantes organisationnelles de l’innovation internationale et certaines y arrivent mieux que d’autres. La fusion Alcatel – Nokia montre bien que certaines entreprises sont capables de se transformer continuellement et d’adapter leurs stratégies internationales en fonction des opportunités. Doz et Kosonen (2008) documentent de manière exhaustive le cas de Nokia, et mettent en exergue la flexibilité remarquable de cette entreprise à focaliser son attention stratégique et ses ressources sur une opportunité dès que celle-ci est identifiée.

De quelles grandes entreprises parle cet ouvrage?

Les travaux de Prahalad sur la fortune à la base de la pyramide, ou l’ouvrage de Radjou et al. (2012) sur l’approche Juggad se concentrent essentiellement sur les entreprises Indiennes et Chinoises. Plus récemment des ouvrages de Radjou et Prabhu (2015) explicitent comment des entreprises occidentales peuvent innover à moindre coût en s’inspirant des techniques originaires d’Inde. Ou encore, Govindarajan et Trimble (2012) mettent en exergue les risques auxquels sont exposées les entreprises occidentales si elles ne globalisent pas leur approche de l’innovation. Ici, les auteurs vont plus loin et décrivent des success stories d’entreprises Européennes (françaises pour l’essentiel) qui osent développer leurs stratégies de R&D dans plusieurs zones géographiques.

Et la petite entreprise?

1431359379millefeuille_caramel_BDLe chapitre 8 de l’ouvrage détonne avec les autres. Ici, on ne s’intéresse plus à la grande entreprise mais à une PME qui se développe à l’international et qui adapte ses produits. L’entreprise spécialisée dans la pâtisserie et la chocolaterie de luxe « Hugo et Victor » y est décrite comme une EIRP (entreprise à l’internationalisation rapide et précoce). Au vu de sa taille, cette entreprise ne peut pas, comme les grands groupes, développer une logique de portefeuille pour sa R&D, mais doit adopter une stratégie de « all-in » prudente sur les opportunités qu’elle souhaite exploiter. Les auteurs prennent une approche effectuation/causation dans la lignée des préceptes de Saraswathy et de mise sur le marché rapide pour effectuer des tests dans les différentes zones géographiques.

Le lecteur ne s’étonnera pas de trouver des chapitres sur le développement de l’innovation dans des groupes automobiles comme Renault ou des équipementiers (Valéo). Ce domaine est reconnu depuis longtemps comme un point fort de l’équipe qui a mené les travaux (voir en complément Jullien et al., 2012). Les auteurs étaient moins attendus sur la pâtisserie, le chapitre détonne par son originalité.

Culture et compétence locale

Plusieurs chapitres mettent en lumière le rôle décisif de la culture locale. En adaptant la grille d’analyse des filiales de Bartlett et Ghoshal (1989) au cas spécifique de l’innovation, les auteurs montrent qu’une même entreprise peut, avec ses filiales, couvrir l’ensemble des situations, et doit donc fortement adapter sa stratégie localement.

Une entreprise peut donc se trouver dans une situation d’un pays peu développé ou tout nouveau produit ou service sera une avancée par rapport à l’existant.

« Le plus important est de faire du neuf avec du vieux. Ici c’est l’Eldorado car tout ce que l’on propose est considéré comme une innovation sur le marché. » p64

Le chapitre 5 sur le cas Essilor décrit la nécessité de développer une communauté au sein des entreprises pour mieux gérer le développement international. Il s’agit de diffuser rapidement des pratiques dans des zones géographiques distinctes. Le cadre théorique est dans l’esprit des travaux séminaux de Brown et Duguid (1991).

Gestion internationale de l’innovation et créativité

L’innovation est bien plus qu’un simple assemblage d’idées. Gérer la répartition internationale des idées est plus difficile que de gérer des projets dont les cahiers des charges définissent les modules et les attentes permettant l’intégration des différents éléments.

Dans ce cas, le jeu vidéo est un cas particulièrement intéressant. Cette industrie connait actuellement de grands changements. L’âge moyen des joueurs ne cesse d’augmenter, leur répartition géographique est forte, et les modèles d’affaires de cette industrie sont en pleine mutation (payants, gratuits ? free-to-play, pay-to-win, freemium…).

Comment gérer les ressources humaines lorsqu’il s’agit d’employés créatifs géographiquement dispersés ? Il est difficile de concevoir qu’un créatif soit moins payé selon son emplacement sur le globe. Comment intégrer des idées qui viennent de Montréal, de Chine, d’Europe pour faire un jeu cohérent susceptible de plaire au plus grand nombre de joueurs ?

Ajoutez à la répartition géographique une pression temporelle forte, avec de idées qui apparaissent avant le lancement de la production du jeu, pendant et après. Vous obtenez un défi du management international de projet.

Les solutions proposées rejoignent les certes les grands classiques de l’agrégation d’information et de rediffusion après validation par un processus stage-gate, mais avec quelques particularités liées à l’aisance de manipulation des systèmes d’information propres à un géant de l’informatique comme UbiSoft.

Le rôle des acteurs publics

Le plus dur pour ces entreprises doit certainement permettre de composer avec des acteurs institutionnels à l’agenda et à la flexibilité moins développés. C’est par exemple le cas du chapitre 7 sur le développement du véhicule électrique. Il s’agit de mettre en place un véritable écosystème d’affaires et non pas simplement un modèle d’affaires pour une seule entreprise.

Conclusion

On peut regretter quelques thèmes absents de cet ouvrage tels que l’innovation ouverte et le crowdsourcing qui sont pourtant deux techniques particulièrement adaptées au développement international de l’innovation. A moins que cela ne correspondent à la prochaine phase de la globalisation de l’innovation et donc à un prochain ouvrage.

L’ensemble de l’ouvrage est mené tambour battant, les chapitres s’enchainent à grand rythme avec des problématiques nouvelles à chaque chapitre et des illustrations adaptées. On pourra regretter l’absence d’une conclusion. Au final, que doit-on retenir de l’ensemble de ces success stories ? Qu’il s’agit d’histoires d’entreprises à suivre et pour cela il n’y a pas de conclusion.  On appréciera tout particulièrement la facilité d’accès de l’ouvrage, qui ne se cache pas derrière un empilement de jargons académiques pour livrer des leçons sur l’innovation. Au final un livre tout public de l’étudiant de première année au praticien en entreprise.

 

Références

Brown J., Duguid P., 1991, “Organizational learning and communities of practice: toward a unified view of working, learning, and innovation”, Organization Science, 2, 40-57.

Doz Y., Kosonen M., 2008, Fast Strategy: How Strategic Agility will help you stay ahead of the game, Wharton School Press.

Govindarajan V., Trimble C., 2012, Reverse Innovation: Create far from home, win everywhere, Harvard Business Press.

Jullien B., Lung Y., Midler C., 2012, L’épopée LOGAN: Nouvelles trajectoires pour l’innovation, Dunod.

Pénin J., Schenk E., Guittard C., Dintrich A., Burger-Helmchen T., 2013, L’innovation ouverte – Définition, pratiques et perspectives, Chambre de commerce et d’industrie de Paris.

Radjou N., Prabhu J., Frugal Innovation : how to do more with less, The Economist, PublicAffairs, New-York, 2015, 252p

Radjou N., Prabhu J., Ahuja S., 2012, Jugaad Innovation: Think Frugal, Be Flexible, Generate Breakthrough Growth, John Wiley & Sons.

Saraswathy S., 2008, Effectuation: Elements of Entrepreneurial Expertise, Edward Elgar Publishing.

Von Zedtwitz M., Gassmann O., 2002,“ Market versus technology Drive in R&D Internationalization: Four different patterns of managing research and development“, Research Policy, 31, 40, 569-588.


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